Le soleil descend lentement vers le sol, quittant sa haute place dans le ciel pour la laisser à la lune, maîtresse de la nuit. Puis, les étoiles vont également la rejoindre, et entamer leur ballet nocturne qui berce les rêves des êtres vivants de la terre. C'était une histoire que me racontait ma mère, lorsqu'elle était encore vivante. Elle nous parlait longuement le soir, à mon frère et à moi, pour nous endormir. Je m'en souviendrais toujours. De sa voix, de son regard... D'elle-même, ma mère, décédée pour nous protéger.
Je suis actuellement assis sur le toit d'un bus, un de ces véhicules de bipèdes, lorsqu'il y en avait encore. Mes yeux bruns sont tournés vers le ciel, et j'observe le doux soleil disparaître lentement au loin. La lune ne devrait pas tarder à arriver à son tour. J'aime beaucoup observer mon environnement. Même si je suis parfois très violent, et que je veux toujours ma vengeance... Mais chaque chien possède en lui un peu de douceur et d'amour. Et lorsque je suis tout seul, ces sentiments resurgissent à la surface.
Je souhaite passer ma nuit ici, près des bus, tout seul. Personne ne m'en voudra de ne pas dormir avec la Meute. J'ai tout à fait le droit de vouloir un peu de tranquillité. Je me couche doucement sur le toit du bus, la tête posée sur mes pattes avants, croisées devant moi, et je ferme les yeux, fatigué, tandis que la nuit tombe autour de moi. Le silence règne en maître, et je lâche un soupir de bonheur devant tant de calme.
Mais à peine ais-je pensé cela, que j'entends un craquement, en bas, sur la terre ferme. Je me redresse, les oreilles pointées sur ma tête. Il y a quelqu'un, ou quelque chose, en bas de mon bus. Un grondement monte de ma gorge, et je me lève de toute ma hauteur du haut du véhicule, surplombant ainsi le parking qui est, malheureusement, plongé dans le noir. Je suis prêt à combattre si quelqu'un ose s'en prendre à moi, et je gronde, dans la sombre nuit, de ma voix toujours aussi aigue que d'habitude, mais que j'essaye de rendre sombre :

"Qui est là ?"

Je sais bien que personne n'aura jamais peur de ma voix si haut perchée, de ma voix de chiot idiot. Mais si un combat éclate, on verra bien qui pleurera en dernier.

Je reste perchée en haut de mon bus, les oreilles pointées au dessus de ma tête, écoutant le coeur battant les bruits alentours. J'entends de nouveau un craquement, puis un roulement de métal, comme une boîte de conserve roulant sur du gravier. Mon ouïe capte ensuite un frottement étrange, et je me penche légèrement en avant, juste assez pour apercevoir un chien brun, rampant hors du couvert de l'autobus. Je fronce les sourcils, la truffe plissée pour reconnaître une quelconque odeur, lorsque le cabot aboie :

"Moi, je me suis réfugié en dessous de l'autobus à cause qu'il va y avoir de la pluie dans un instant."

Je fronce le museau un peu plus devant sa façon de parler un peu étrange, et lève la tête vers le ciel. Il va pleuvoir dit-il ? J'en doute fortement, je n'ai rien perçu. Mais à peine ais-je pensé cela, qu'une goutte de pluie froide me tombe entre les yeux, me faisant reculer en arrière de surprise. Décidément, aujourd'hui, tout ce que je dis provoque le contraire ! Je n'ai vraiment pas de chance.

"Moi, je vais me réfugier sous l'autobus, tu peux me rejoindre quand tu veux."

Je jette un oeil à l'autre cabot, qui rampe de nouveau s'abriter sous le bus. J'hausse les épaules, refusant d'aller me planquer avec cet inconnu, mais après une bonne trentaine de gouttes de pluie, et un éclair qui transperce le ciel, je saute de mon perchoir et cours m'abriter avec l'autre corniaud. Je me tapis sous le bus, à une distance raisonnable du Berger Allemand, car s'en est-un. Je reste silencieux, caché dans la pénombre. Je n'ai pas envie de lui adresser la parole, sinon il va croire que je vais le remercier pour m'avoir offert cette cachette. Mais peut-être qu'il va décider lui-même d'engager une conversation ?

L'autre cabot se tait, et le silence qui s'installe entre nous me va très bien. Seuls la pluie et les coups de tonnerre troublent cette petite bulle de paix, et je décide de m'occuper en attendant que cela s'arrête. Je jette un regard en coin au Berger Allemand, et en vient à la conclusion que c'est une femelle. Une femelle de la meute Wild. Et en ce moment, les Wild et les Fierce ne sont pas en très bons termes. Je ne suis donc même pas censée lui adresser la parole.
Je grogne lorsque un éclair me surprend et me fait frissonner. Le sol est froid, inconfortable, désagréable. Mes coussinets me font mal, je ne peux pas bien m'allonger, je suis obligée de plaquer ma tête au sol car le bus qui nous sert de plafond est trop bas. C'est vraiment un enfer.
Mais au bout d'un temps, il me semble que la pluie tape moins fort, que le tonnerre gronde plus loin. L'orage s'en va peu à peu, et la femelle Wild sort de notre cachette, toute heureuse, en m'aboyant avec joie :

"Tu peux sortir, l'orage est passé."

Je rampe hors du dessous de l'autobus, et scrute le ciel avec inquiétude. Mais la pluie n'est plus là, et le soleil est même entrain de revenir à sa place initiale. Combien de temps avons-nous passé ensemble sous ce bus, dans le silence ? Une nuit entière ?! Le temps est passé si vite...
J'observe la femelle, le regard noir. Sans elle, je me serais peut-être prit la foudre. Je vais devoir la remercier. Heureusement qu'Asphalion n'est pas là, sinon je me ferais fortement réprimander. Nos meutes sont en guerre, je ne peux pas me permettre de me lier d'amitié avec cette chienne.

"Merci.", grondais-je sans que mes paroles viennent vraiment du coeur.

Puis je reste plantée là, ne sachant pas trop quoi faire. Partir ? Attendre qu'elle me réponde ? Je décide de patienter quelques minutes, puis de m'en aller si rien ne se passe. La décision de la suite ne revient donc qu'à elle-même.