Et maintenant, alors que le monde s'embrase, jusqu'où fuirons-nous ?

Sous mes pattes, le bitume défile à toute allure ; mes pattes frappent le sol avec force. Mes poumons me brûlent, de fatigue surtout, mais la fumée n'arrange rien. Je cours, je saute. Je fuis. Et je ne suis pas seul. D'autre me suivent. Tous, oui, tous, nous sommes tous contraints à fuir. Dans mon dos, la chaleur et les flammes. Devant moi ... Je l'ignore, après tout, je cours et je me fiche bien d'où je vais. Tant que nous nous éloignons de ce feu mortel, nous devons courir. La fumée gagne du terrain, plus rapidement que le feu. La nuit pourtant sombre se voit teinte d'une lueur orangée, chaude et dangereuse. L'odeur de brûlé et de l'asphalte m'en feraient tourner la tête, mais je parviens à tenir bon. Courir, courir, je ne dois faire que courir.

Le Grand Grognement était un ennemi invisible. Puissant, ravageur, dévastateur ... Mais invisible. Et même si nous l'avions voulu, nous n'aurions pas pu fuir. Alors que là ... Si je ne suis pas dévoré par les flammes, la fumée se chargera de m'étouffer. Je me demande bien quoi, ou qui, est à l'origine de cet incendie. Mais il me faut bien me faire à l'idée que cette question ne peut avoir de réponse. Du moins, pas dans l'immédiat.

Cours.

Que faire désormais ? La lueur des flammes semble s'apaiser. Je m'accroche à ce songe idyllique, bien que je sache pertinemment que cette illusion n'est causée que par notre distance. L'incendie continuera de gagner du terrain, mais nous avons accumulé assez d'avance pour faire halte. Ce que nous faisons. Mes châsses mettent un instant à s'habituer à l'obscurité. Bien vite, je me rends compte de l'endroit où je me trouve. Le marécage. Ici plus qu'ailleurs, on sent encore les ravages du Grand Grognement. Lointain Grognement. L'incendie est loin derrière. Les chiens commencent à trouver un coin où s'arrêter, proche ou peu proche des rives de l'eau. Mon envie première serait d'aller boire, mais, rien qu'à l'odeur, je sais que cette eau n'est pas bonne à boire. Je soupire et balaie du regard l'assemblée de canidés qui se trouve autour de moi. Il y a des Fierce, il n'en fait aucun doute. Normalement, personne n'est resté au camp, la fumée nous a tous forcé à fuir. Peut-être que certains n'ont pas pu suivre le rythme ? Tous les Fierce ne sont pas là. S'ils ont fait halte en chemin, ils ne devraient pas tarder à nous rejoindre. D'autres ont peut-être préféré un autre itinéraire. Je refuse de songer aux potentiels Fierce morts dans la catastrophe. Mais c'est évident.

Il n'y a pas que des Fierce. L'odeur de toutes les meutes se diffuse déjà dans l'air. En temps normal, cela m'aurait agacé au plus haut point. Mais ici, je ne ressens que la fatigue et une certaine lassitude. Au dessus de nous tête, l'orage gronde. La nature semble reprendre ses droits. Elle qui fut muette durant le Grand Grognement, elle déclenchera bientôt la pluie pour chasser les flammes. Je l'espère du moins.

« Asphalion ? Le ciel est fâché contre nous ? C'est pour ça qu'il nous grogne dessus ? »

Je baisse la tête. Je reconnais ce chiot, c'est un Fierce. Seul. Je me mords discrètement les babines en ne voyant sa mère nulle part. Je me sens coupable, terriblement coupable, mais sans savoir pourquoi. L'incendie n'est pas ma faute ... J'ai tout fait pour fuir. Aurais-je du attendre tout le monde ? Je ne sais pas.

« Non. C'est contre les flammes qu'il est en colère. Il ne faut pas avoir peur. »

Pourtant, c'est ce que je fais. Pas pour moi. Pour ma meute qui risque gros. Pour elle, je suis terrifié.

« Run. »

Asphalion & Oracle & Libre

Courage, Oracle, tu n'es pas seul. Tu cours dans l'obscurité la plus complète - non, dans quelque chose de plus sombre encore. Mais tu les entends tout autour de toi. Leurs halètements, leurs pattes qui martèlent le sol et leurs griffes qui crissent sur le bitume. Des chiens, tout autour. Tu ne sais même pas comment tu t'es retrouvé parmi eux. Dès que tu avais senti la fumée et entendu les craquements du bois dévoré, ton instinct t'avait poussé à fuir et, étrangement, tu avais pris le même chemin que tous ces chiens. Quelqu'un les guidait-il ? Tu l'ignores mais tu décides de les accompagner, peu importe où ils vont. Alors tu fuis avec eux, ignorant tes bronches qui souffrent et tes coussinets qui brûlent. Un instant, tu penses à Lola. Tu pries pour la retrouver bientôt, saine et sauve. Peut-être n'est-elle pas loin, du moins l'espères-tu.

De ce que tu peux percevoir, tu comprends que vous vous éloignez du danger. Mais vous continuez à courir, mus par cet instinct de meute qui vous a réunis. Vous tous, des chiens de tous horizons. A travers leurs odeurs respectives, tu identifies chaque clan. Tu sens les Fierce, les Wild et les Leashed. Il y a certainement des solitaires, aussi. Comme toi.

Au bout d'un moment, les chiens s'arrêtent. Épuisé, tu te stoppes avec eux, reprenant ton souffle avec difficulté. Ta gorge émet un drôle de son rauque à chaque inspiration - tu as dû engloutir un peu trop de fumée. Inquiet, tu fronces le museau et redresses la tête. L'odeur de l'eau est partout. Mais l'eau n'est pas normale, et tu as du mal à supporter la torture de ne pas pouvoir la boire. Tu te couches là même où tu t'es arrêté, la tête entre les pattes, trop fatigué pour te trouver un meilleur emplacement. Tu n'aimes pas te retrouver parmi tous ces inconnus - trop de bruit, trop d'odeurs. Un brouhaha de paroles insupportables qui fusent dans toutes les directions, accompagné d'un tas d'effluves difficiles à séparer et identifier. En plus de tout ça, un terrible mal de tête t'assaille. Et la nuit ne fait que commencer...

Tu entends vaguement un mâle rassurer un chiot, mentionnant la colère du ciel. Tu dresses la tête vers ledit ciel et tentes de te concentrer. La lourdeur de l'air n'est pas causée que par la menace de l'incendie - un orage se prépare. De mieux en mieux...