J'avais tous les muscles raides, aussi me suis-je étirée. J'ai entendu les os de mes pattes craquer, comme si je n'avais pas couru depuis des mois. C'était une sensation désagréable, comme si j'étais prisonnière de mon propre corps. J'ai regardé mon pelage noir et flamme, et je me suis demandée à quoi je devais ressembler. Après tout, les rares fois où j'avais vu mon reflet, c'étaient dans des flaques d'eau. Et depuis l'incendie, il n'y en avait quasiment plus...

J'ai observé la forêt avec un sentiment étrange ; je n'ai pas su dire si c'était de la nostalgie ou du dégoût. Chaque endroit où je m'étais posée, et ce, toute ma vie, j'avais dû le fuir à un moment à un autre de mon existence. À croire qu'une malédiction s'acharnait sur moi.

Tout ce que je construisais, tous les repères que je m'installais pour me faire croire que j'étais chez moi, je devais tous les détruire, les brûler, comme s'ils n'avaient jamais existé. Finalement, l'évidence m'est apparue, claire comme de l'eau de roche : je n'arrivais jamais à trouver ma place... tout simplement parce que je n'en avais pas. Ou du moins, pas ici. Ma maison était autre part, et cet endroit, je ne l'avais pas encore trouvé.

Mais je ne désespérais pas. Avec détermination, je me disais que je la trouverais bien un jour. Qu'elle ne pourrait pas m'échapper longtemps. Et que, ce jour-là, j'aurais pour la première fois l'incroyablement agréable sentiment d'être chez soi.

Je me suis dirigée vers le château abandonné. Je ne savais pas très bien les rumeurs qui circulaient autour de cet endroit inquiétant et en ruines. En revanche, je savais bien que c'était un endroit plutôt évité par les Fierce. Tant mieux, me suis-je dit en marchant vers la grande structure qui se découpait non loin.

Au moins, là-bas, personne ne viendrait me déranger.

Et bien, je me fourrais bien le doigt dans l’œil si je pensais réellement bénéficier d'un semblant de calme et de tranquillité au château abandonné.

Avant même de pénétrer dans le château, j'ai senti une odeur familière, qui n'était pas sans me faire penser à la mienne. Un Fierce était déjà là. J'ai juré à voix basse, mais j'avais fait beaucoup de route et je n'avais pas vraiment envie de retourner au camp tout de suite. Intérieurement, je me suis dit que peut-être était-ce une ancienne trace et qu'il n'y avait plus personne, bien que je n'en fus pas réellement convaincue.

Redressée, avec une démarche fière et dominatrice, je me suis avancée à l'intérieur du château. Je ne voulais surtout pas paraître intimidée, même si je l'étais un peu. Le bâtiment était gigantesque pour une chienne comme moi, et je savais que j'étais de plutôt grande taille. Je n'osais imaginer ce que devait être pour un chiot... j'aurais vite fait de me perdre dans un endroit pareil, aussi ai-je décidé de ne pas m'éloigner de la sortie.

Et c'est là que je la vis.

Elle était assise sur un siège couleur rouge foncé, l'air curieux, elle observait les alentours et m'a remarquée très vite. J'ai soutenu son regard, étant sûre de n'avoir rien à craindre. C'était une femelle de ma meute, une Fierce. Aussi ne se jetterait-elle pas sur moi. N'est-ce pas... ? N'avions-nous pas la réputation d'être les chiens les plus féroces de la forêt ?

Ne supportant pas de la voir me regarder de haut, j'ai bondi agilement sur le table afin d'être à sa hauteur. Je me demandai quel genre de Deux-Pattes pouvaient bien vivre ici. Habituellement, leurs maisons n'étaient pas aussi grandes...

- Salutations, Nir... vana ? ai-je aboyé en essayant de me souvenir du nom de la femelle. Qu'est-ce qui t'amène ici ?

J'ai adopté une position et un ton sans peur. J'ai espéré avoir l'air convaincant.