Farren feat. Jesav

Cet endroit était magnifique. Le lac était d'un bleu profond et calme. L'eau ne bougeait pas beaucoup. C'était très reposant. Et la verdure aux alentours, les grands arbres qui s'élevaient vers le ciel orangé, c'était beau. La nuit n'allait pas tarder à tomber.

J'allai m'approcher de l'eau quand j'aperçu un gros lapin détaler vers moi, suivit d'un grand chien à l'odeur familière. Le lévrier bondit sur la proie, mais la rata de peu et finit nez au sol. Le lapin en profita pour se cacher dans un buisson. C'était une scène assez amusante. Je souris doucement en voyant que mon compagnon de meute campais devant le buisson. Je devais bien aller l'aider. Je m'approchai doucement, face à lui,  puis aboya pour faire peur au lapin et le forcer à fuir droit vers l'autre canidé. Mon plan marcha à merveille car il bondit entre ses pattes, étourdi.

Le canidé tua le lapin sans aucun mal, puis contourna le buisson pour venir face à moi. Je pu enfin l'observer de plus près. C'était un chien marron, très fin et haut sur pattes. Un lévrier banal.

- C'est... C'est toi qui a fait ça ?

Ça me paraissait assez logique. Ce chien devait être plutôt jeune, à peine deux ans je dirais.

- Merci.

Je m'assis face à lui et lui offrit un sourire franc.

- De rien, c'est normal de s'aider entre chiens.

L'entraide, le partage... Toutes ces valeurs, je les ai acquises dans la rue. J'ai apprit combien la nourriture était une ressource précieuse, et surtout comme il fallait s'allier pour survivre. Un chien ou un homme seul dans la rue ne tenait pas longtemps.

- Au fait, moi c'est Jesav, et toi ?

- Je m'appelle Farren, enchanté de faire ta connaissance Jesav.

Voilà un jeune bien sympathique. Vu sa façon de parler, il devait être un ancien chien domestique et a sûrement vécu dans un environnement assez aisé. On ne venait pas du même monde.

- Tu m'a aidé à l'attraper. Je suppose que tu ne dirais pas non à ce que l'on partage n'est-ce pas ?

Il était vrai que je commençais à ressentir la faim. Et on ne pouvait pas refuser de la nourriture, encore moins dans une période comme celle-ci.

- Merci.

Je croquai deux bouchées dans la chair encore chaude du lapin, puis repoussai le petit corps vers lui du bout de la patte.

- Dis moi, t'es chez les Leasheds depuis longtemps ? J'ai pas souvenir de t'avoir déjà vu.

Je réfléchis quelques instants. Je n'étais presque jamais en territoire Leashed, je n'avais pas encore rencontré grand monde. À vrai dire, je connaissais même plus de chiens ennemis que de ma propre meute. Mais j'aimais bien avoir des contacts partout. Ça pouvait toujours être utile. Ça aussi, c'était un truc que Petit Punk m'avait apprit.

- Enfin j'suis pas souvent sur nos terres en fait.

- Et bien même chose pour moi. Je traîne souvent seul par-ci par-là, je n'ai pas vraiment de connaissances dans la meute.

On était tous deux dans la même situation. De toute façon, je ne pensais pas que beaucoup de Leasheds restaient uniquement sur leur territoire. Ce n'était pas vraiment une meute, c'était plus un regroupement. On était totalement libres de nos mouvements.

- Et non je ne suis pas chez les Leashed depuis très longtemps. J'ai erré un moment seul avant de les rejoindre. Avant le Grand Grognement je vivais dans une magnifique petite maison avec mon maître. J'ai toujours vécu une petite vie tranquille chez moi. J'ai donc mis un petit moment avant de m'habituer à me débrouiller seul.

Comme je me disais bien, ce chien avait eu une vie très différente de la mienne. Ça n'avait pas du être facile pour lui de s'habituer à la liberté et la débrouille. Le monde extérieur est sans pitié.

- Et toi ? Tu es chez les Leasheds depuis longtemps ?  Où habitait-tu avant ?

Je n'étais pas habitué à tant de questions. En fait, j'étais même plus du genre à poser les questions. J'avais tendance à vouloir tout savoir, le curiosité était un de mes défauts.

- Comme toi, j'ai un peu traîné avant de rejoindre les Leashed.

Quant à mon passé...

- Du temps des humains, je vivais dans la rue avec un homme qui m'avait recueillit. J'ai jamais eut de maison, de lieu de vie fixe.

Je souris doucement, un brin nostalgique de cette époque. Petit Punk était et est toujours mon seul ami. Mais il est mort. La rue ne fait pas de cadeaux, même à ses habitués.

- C'était la bonne époque. Je me suis retrouvé seul peu avant le Grand Grognement alors j'ai pas eut trop de mal à m'habituer à cette vie.

- Et sinon t'as un passe-temps favoris ? Moi j'aime plus que tout la course !

J'aimais bien son comportement enfantin, léger. On avait bien besoin d'un peu de joie en cette période. La plupart des chiens étaient d'un sérieux glaçant, et il faut dire que ça m'arrivait aussi. C'était difficile de se décontracter avec tout ce qu'il se passait en ce moment.

- En fait, j'ai jamais vraiment pensé à me trouver un passe temps. Mais on peut courir si tu veux ?

Ça pourrait me changer les esprits, de m'amuser un peu. Et même si j'étais loin d'être le plus rapide, j'avais la chance d'être endurant.

- Avec plaisir !

Je vis le lévrier s'élancer sans plus attendre, courir à toute vitesse le long du lac. Je m'élança à sa suite, évidemment beaucoup moins vite. Ça allait me faire du bien de me dégourdir les pattes. Farren ralentit un peu de façon à ce que je puisse courir à sa hauteur. On courut bien une dizaine de minutes, puis, d'un coup, je le vis tourner sans prévenir et foncer dans le lac. Je me stoppai net et plongeai à sa suite.

Il nageait. Personnellement, je n'aimais pas beaucoup l'eau et ne savais pas très bien nager, alors je préférais rester là où j'avais pieds. Quand il revint vers moi, j'aboya :

- Et bien, ça faisait longtemps que je n'avais pas courut comme ça. Ça fait du bien.

- Je trouve que c'est important d'avoir des moments comme ça ou on l'on peut oublier la difficulté quotidienne. Quand je suis sortis pour la première fois dans la rue après le Grand Grognement et que j'ai vu la visage du monde entièrement changé, mon premier réflexe a été de courir. J'ai couru, j'ai pleuré, j'ai hurler et ça m'a fait du bien. Même si intérieurement  mon enfer émotionnel ne s’arrête pas. Depuis, je n'ai plus jamais pleuré.

Pauvre Farren. Il était encore jeune, et déjà si triste. Il ne fallait pas qu'il se laisse envahir par ce qui lui arrivait. Il fallait qu'il apprenne à accepter le fait que le passé était le passé. Rien ne pouvait le faire revenir. Certes, Petit Punk me manquait aussi, mais je ne pouvais pas me permettre de le ressasser incessamment ces souvenirs. Je devais avancer. Il aurait voulu que j'avance.

- Tu sais, les choses changent. Elles changeront toujours. On ne peut rien y faire, il faut savoir l'accepter, même si c'est dur.

Je m'approchai du chien et me collai flanc à lui pour lui montrer mon soutient.

- On ne peut pas oublier le passé, mais il faut accepter l'idée que c'est finit. Sinon on ne peut pas avancer.

Être fort mentalement était peut-être plus important qu'être fort physiquement en cette période. Si l'ont passait sa vie à se remémorer comment c'était avant le Grand Grognement, on ne pouvait pas s'adapter à ce nouvel environnement des plus hostiles.

- Tu as raison.

Je lui souris. J'aimais bien ce chien, il me rappelait moi à son âge. Et inconsciemment, je me comportais avec lui comme Petit Punk se comportait avec moi. Comme une sorte de grand frère. C'était ça.

- Merci beaucoup.

Il me sourit. Ça faisait plaisir à voir. Je levai les yeux vers le ciel. La nuit commençait à bien tomber et de lourds nuages cachaient les astres.

- De rien, c'est normal. On rentre au village ? J'ai pas très envie de dormir dehors ce soir.